Tout
ce qu'il faut savoir sur la responsabilité sociale
des
médias et le "journalisme civique"
On assiste aujourd’hui,
sur la question de la responsabilité sociale
des médias, à un paradoxe saisissant :
ce secteur, devenu quasiment tout puissant, pousse avec
succès d’autres institutions (les entreprises,
les politiques, etc.) vers plus de transparence alors
que lui-même semble susciter toujours plus de
méfiance. De fait, c’est encore aujourd’hui
l’un des seuls secteurs dont les entreprises ne
se sont pas, en France en tout cas, emparées
des questions de responsabilité sociale et environnementale,
et dont les leaders, même lorsqu’ils sont
cotés en bourse, ne publient peu ou pas de rapports
dédiés aux questions d’éthique
et de développement durable. Les rapports existants
se focalisent surtout sur les impacts directs (achats
internes, aspects environnementaux, etc.) et peu sur
les impacts de leurs contenus par exemple.
Sur ce dernier point, les entreprises s’abritent
derrière la déontologie professionnelle
et ne sont absolument pas transparentes sur la mise
en application effective des codes de conduite existants,
les dilemmes rencontrés, les problèmes
survenus (dont certains, liés au contenu, justifient
l’apparition de plus en plus fréquente
de médiateurs permettant au public d’interpeller
l’entreprise ou les journalistes sur les contenus
diffusés). Plus généralement, les
entreprises invoquent également le fait que le
secteur est très réglementé dans
les différents volets de son activité
(voir par exemple en France l’existence du Conseil
Supérieur de l’Audiovisuel pour les contenus
et du Bureau de Vérification de la Publicité
pour les publicités), ce qui laisse moins de
place à des politiques volontaristes. Mais c’est
un fait que les médias, malgré la déontologie
et les organismes de régulation ou auto-régulation,
ne répondent pas vraiment aux attentes de leurs
publics…
-
Quels sont les impacts sociaux et
environnementaux d'une entreprise de médias ?
- Les
signaux faibles d'un changement dans le secteur
- Le journalisme civique
et l'information positive, un volet important de la
responsabilité des médias
Quels
sont les impacts sociaux et environnementaux
d’une entreprise de médias ?
Car les
enjeux sociaux, environnementaux et éthiques
du secteur sont nombreux, et sont répartis sur
plusieurs niveaux prenant en compte le « cycle
de vie » des activités, comme pour une
entreprise industrielle.
- D’abord, au niveau de
l’entreprise elle-même (société
de presse, chaîne de télévision,
etc.) : cela concerne les impacts environnementaux
liés aux produits (par exemple la consommation
de papier, d’encre et de transport pour une
société de presse, sans compter les
déchets liés aux exemplaires imprimés
mais non lus) ou aux activités (par exemple
impact des bâtiments que possède et exploite
l’entreprise, émissions de CO2 liés
aux bâtiments et à la flotte de véhicules),
mais aussi à sa politique d’achats (ordinateurs,
véhicules de fonction, mobilier, matériel
technique, etc.) et enfin aux différents aspects
liés à la gestion des ressources humaines
dans l’entreprise (égalité des
chances, conditions de travail, etc.).
- Ensuite, en amont, au niveau
du financement de la production : concrètement,
cela concerne des sujets comme le soutien à
la diversité culturelle, la rémunération
équitable des auteurs, la tarification, mais
aussi la capacité à faire évoluer
leur «business modèle» en fonction
des «crises» du secteur (par exemple :
évolution vers le piratage voire la gratuité
des contenus).
- Enfin, en aval, au niveau
des publics de l’entreprise : selon les cas,
cela peut concerner la façon dont est menée
l’éventuelle mission de service public
(cas de Radio France, de France Télévisions,
etc.), mais aussi la recherche de qualité et
d’intégrité de l’information
(avec par exemple la question du choix des contenus
et leur indépendance vis-à-vis des annonceurs
publicitaires ou des actionnaires de l’entreprise),
les dimensions de pédagogie et d’éducation
(mise en contexte de l’information, sensibilisation
sur des enjeux majeurs insuffisamment traités
dans les médias comme l’était
le changement climatique il y a peu de temps encore,
information « positive » sur les solutions
autant que sur les problèmes, etc.), l’accessibilité
des produits (prix, accès aux handicapés
ou aux plus démunis), la protection des publics
contre des contenus à risque ou contre ce que
certains considèrent comme des «polluants
mentaux» (sexe, violence, reproduction de stéréotypes,
incitation à des comportements et modes de
vie à risque, etc.).
Pour en savoir plus :
- Téléchargez l'étude "Turning
the page" publiée en 2001 aux Etats-Unis
sur les impacts environnementaux de la presse magazine
- Téléchargez
les deux rapports du cabinet anglais SustainAbility
«Good
News & Bad – The Media, Corporate Social Responsibility
and Sustainable Development» (2002) et
«
Through the looking glass – Corporate Responsibility
in the Media and Entertainment sector » (publié
avec WWF, 2004)
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Les «
signaux faibles » d’un changement dans le
secteur
Divers scandales survenus dans les médias ces
dernières années ont généré
des crises de confiance et de réputation pour
les entreprises concernées, qu’il s’agisse
d’indépendance éditoriale (voir
par exemple les films Outfoxed, sur les pratiques douteuses
et les censures de la chaîne américaine
Fox News, et Good Night and Good Luck, sur les liens
entre politique et médias, et la bravoure du
journaliste américain Edward R. Murrow à
l’époque du Maccarthysme), d’éthique
journalistique (par exemple autour du livre «
La Face cachée du Monde » de Péan
et Cohen, qui avait contraint le quotidien Le Monde
à publier une sorte de rapport éthique
dans ses pages, ou encore l’affaire des faux articles
écrit par un journaliste du New York Times, qui
a amené à la rédaction d'un nouveau
code de conduite, ou enfin l’affaire Huntington
qui a touché la BBC autour de la question de
l’anonymat des sources après le suicide
d’une source).
A cela s’ajoutent des initiatives qui visent à
évaluer ou certifier les bonnes pratiques des
entreprises de médias : l’agence suisse
de notation extra-financière des entreprises
Oekom a ainsi publié en 2005 une étude
intitulée « The Corporate Responsibility
Rating of the Media Industry » et une certification
ISAS BC 9001 visant à garantir la qualité
des radiodiffuseurs a été lancée,
en Suisse, par la fondation Médias et Société
(sur des sujets comme la qualité et la précision
de l’information, la satisfaction des publics,
la diversité des programmes, l’innovation
et la création, la promotion et le respect de
règles éthiques, l’utilité
sociale du média…).
Dans un autre registre, un groupe de travail rassemblant
des entreprises du secteur a été créé
en 2003 en Angleterre (avec la BBC, Sky, EMI, The Guardian,
ITV, Pearson, Reuters…) pour travailler sur ces
questions, et le cabinet SustainAbility a publié
coup sur coup, en 2002 et 2004, deux rapports sur l’engagement
nécessaire du secteur (« Good News &
Bad – The Media, Corporate Social Responsibility
and Sustainable Development» puis « Though
the looking glass – Corporate Responsibility in
the Media and Entertainment sector », avec WWF
- voir ci-dessus).
Enfin, donc, des bonnes pratiques apparaissent dans
les entreprises elles-mêmes : plusieurs entreprises
dont The Guardian et la BBC publient désormais
des rapports très complets et transparents sur
leur responsabilité sociale et environnementale,
abordant les dilemmes liés à leur activité
(comme les conflits d’intérêt), chiffrant
leur performance sur des sujets aussi variés
que le respect des codes de conduite, la diversité
des programmes ou les réclamations des publics…
Plus récemment, fin 2006, Rupert Murdoch, le
PDG du géant News Corp. (qui possède notamment
la chaîne Fox News, les studios de cinéma
20th Century Fox, le fournisseur d’accès
internet MySpace, de nombreux journaux, studios et chaînes
de TV aux USA, en Inde, en Chine, en Grande-Bretagne,
en Australie, etc.) a annoncé sa volonté
de mettre au point une stratégie environnementale
pour l’ensemble de son groupe, en utilisant les
stratégies mises au point par son fils James,
à la tête de la télévision
par satellite BSkyB. Un revirement surprenant de la
part du « tycoon » des médias qui
était plutôt connu comme un sceptique du
changement climatique et s’affiche désormais
aux côtés d’Al Gore ! « Nous
allons devenir absolument neutres en carbone, pour l’ensemble
de nos activités dans tous les pays »,
a déclaré Murdoch, reconnaissant ainsi
l’influence de son fils (et probable héritier,
depuis la démission de son frère Lachlan)
qui a fait de BSkyB la première chaîne
neutre en CO2 début 2006, en travaillant à
la fois à réduire les émissions
de l’entreprise (Murdoch junior s’est fixé
comme objectif de réduire les émissions
de CO2 de 10% par rapport au niveau de 2002/2003 à
horizon 2010) et à compenser les émissions
résiduelles en finançant des projets d’énergie
renouvelable, comme cela est détaillé
dans les rapports de responsabilité sociale publiés
par Sky depuis 2004.
Pour en savoir plus :
- Téléchargez les rapports publiés
par The Guardian sur sa responsabilité sociale
en 2003 (version
PDF) et 2004
(version PDF), ou lisez en ligne les éditions
2005 et 2006,
sans oublier d'explorer
la section dédiée "Living our values"
du site de The Guardian
- Connectez-vous sur la partie
dédiée à la responsabilité
sociale du site de la BBC
- Connectez-vous sur la
partie dédiée à la responsabilité
sociale du site du groupe anglais B Sky B ou téléchargez
directement en PDF les versions 2005 et 2006 de leur
rapport de responsabilité sociale
- Téléchargez le
nouveau code de conduite publié par le New-York
Times en 2003
ainsi que la brochure
publiée par le célèbre quotidien
sur sa politique environnementale et sociale
- Connectez-vous sur le
site de la Fondation Médias et Société
en Suisse pour découvrir la certification ISAS
BC 9001
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Le
journalisme civique et l’information positive,
un volet important de la responsabilité des médias
L’information,
c’est ce qui fait rupture, dérange et crée
l’événement : les trains qui arrivent
à l’heure n’intéresse personne,
en tout cas pas dans les médias, dit-on souvent.
Né aux USA, le journalisme "civique"
(civic journalism ou public journalism) prend pour sa
part le parti inverse en choisissant de parler des trains
qui arrivent à l’heure : pour ses défenseurs,
il n’est plus suffisant d'informer, il faut que
ce qui remplit les colonnes des journaux donne envie
aux citoyens de participer à la vie de leur communauté.
Un nombre croissant de militants du « public journalism
» ou « civic journalism» croient que
quand les lecteurs, de plus en plus nombreux, réclament
dans les études de lectorat, des "bonnes
nouvelles", il ne s'agit pas de trains qui arrivent
à l'heure ou de belles histoires sur la vie des
princesses : l'importance de l'information vient des
possibilités d'action qu'elle crée et
l’utilité d’un journal est ancrée
dans sa capacité à aider au bon fonctionnement
de la vie civique. Le but de ces croisés d'une
forme radicalement nouvelle de journalisme, las des
dérapages et du cynisme des journalistes qui
semble empirer depuis plusieurs années : redéfinir
le rôle de la presse dans la vie publique. "Le
bon journalisme exige bien plus que des bons reporters,
plus qu'un patronat éclairé et plus qu'une
base économique solide " explique Jay
Rosen, professeur à la New York University, et
co-"inventeur" du concept. "En effet,
sans des citoyens engagés et concernés,
même les journaux dont le sens civique est le
plus développé ne peuvent pas faire leur
travail." L'objectif de Rosen et de son collègue,
Davis Merritt, rédacteur en chef du Wichita Eagle
de 1975 to 1996, est ambitieux : faire des journaux
les sages-femmes de la citoyenneté. "Une
raison d'espérer - voilà tout ce que les
gens attendent de la presse, et ce n'est pas une exigence
déraisonnable," affirme Jay Rosen.
"L'importance de l'information vient des possibilités
d'action qu'elle crée," renchérit
Davis Merritt. La vie publique, c'est-à-dire
le mécanisme qui met la théorie de la
démocratie en pratique, exige une information
partagée et une place où celle-ci est
discutée et transformée en action. La
presse est censée fournir ces éléments
et aider au bon fonctionnement de la vie civique. Un
programme à la fois simple et ambitieux. "Je
préfère augmenter de 10% la participation
électorale que gagner le prix Pulitzer,"
lance même Sandra Mims Rowe, ex-rédactrice
en chef du Portland Oregonian, et l'une des adeptes
influentes du journalisme civique. La démarche
se répand peu à peu, au point qu’un
cinquième au moins des quotidiens américains
auraient pratiqué, avec un effet visible dans
la société civile (reprise des articles
par d’autres organisations, réactions positives
des lecteurs, création d’ONG et de mouvements
citoyens suite à la publication, influence directe
sur un changement politique, etc.), cette nouvelle approche
du journalisme entre 1994 et 2001, selon une étude
publiée il y a 4 ans par le Pew Center for Civic
Journalism, une fondation dédiée à
la sensibilisation du monde des médias sur ces
questions. Dans un autre domaine, la producteur cinématographique,
signalons aussi que Jeff Skoll, 41 ans, co-fondateur
du site de ventes aux enchères eBay qui l’a
rendu millionnaire lors de son entrée en bourse,
a créé Participant Productions, dont il
veut faire « une entreprise de média responsable
et indépendante, consacrée à l’intérêt
général », produisant des films
engagés et à succès comme «
North Country » (sur la violence domestique),
« Good Night and Good Luck » (précisément
sur la responsabilité des médias), «
Syriana » (sur les magouilles de l’industrie
pétrolière) ou le film d’Al Gore
« Une vérité qui dérange
» (sur le changement climatique).
Le mouvement a certes ses critiques, qui trouvent que
le Public journalism a des relents de la presse du début
du siècle quand leurs propriétaires, comme
William Randolph Hearst -"Citizen Kane"- utilisaient
leurs journaux pour avancer leurs causes et les candidats
de leur choix. Jay Rosen hausse les épaules.
Pour lui, l'objectivité, qui est "la plus
importante contribution du journalisme américain
au reste du monde," est une notion désormais
dépassée. "Le journalisme est un
des arts les plus importants de la démocratie.
Son but ultime n'est pas de faire des gros titres ou
des réputations, mais simplement d'aider la démocratie
à fonctionner." Il s'agit peut-être
d'un retour aux sources : à quoi servent les
médias sinon à être les aiguillons
de la démocratie ?
Pour en savoir plus :
- Téléchargez l'article
complet sur le journaliste civique écrit parJ-S.
Stehli dans La Lettre d’Utopies en 2000
- Connectez-vous sur
le site du Pew Center for Civic Journalism
- Téléchargez
les deux articles sur l'information positive en France
parus dans Le Monde
2 (décembre 2006) et Le
Soir (janvier 2007)
- Lisez l'article paru
sur Participant Productions dans la newsletter Graines
de Changement en juin 2006
- Connectez-vous sur le site du Prix Reporters
d'Espoir, l'autre initiative française d'information
positive, avec Graines de Changement
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