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"Quatre
femmes qui
déplacent des montagnes"
Une
interview réalisée
par Graines de Changement
pour
le n° 4 de Canopée !
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Après notre
dossier sur le biomimétisme paru dans Canopée
n°3 (paru en 2005), nous avons publié dans
la nouvelle édition du magazine une interview
croisée de 4 femmes exceptionnelles. La version
courte de cette interview est parue dans le passionnant
numéro 4 de Canopée (en vente dans tous
les magasins Nature & découvertes) mais vous
pouvez la télécharger
en version PDF et lire en ligne, ci-dessous, la
version intégrale du texte (© Marie
Balmain & Elisabeth Laville , Graines de Changement
- reproduction, même partielle, interdite).
Alors qu’une psychanalyste
américaine vient de publier un livre appelant
au rassemblement des femmes dont les penchants naturels
à nourrir et à protéger correspondraient
aux qualités dont notre monde a besoin pour panser
ses blessures, nous avons rencontré à
l'occasion de la Journée Mondiale des Femmes
et pour le numéro 4 de la revue Canopée,
publiée par Nature & découvertes,
quatre femmes exceptionnelles qui, sur quatre continents,
sèment les graines d’un monde meilleur…
«
Je crois que l’écologie
est profondément liée à
la spiritualité. Sans elle, vous devenez
un éco-technocrate, aussi insensible
à la douleur de la violence infligée
à la nature qu’à la joie
de la protéger.»
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Vandana
Shiva
Née en Inde en 1952, Vandana Shiva, biologiste
et philosophe, porte la cause de la biodiversité
et les droits des populations indigènes sur
tous les fronts, des manifestations alter-mondialistes
aux négociations de l'OMC.
Fille d’un garde forestier, elle s’engage
à 18 ans dans le mouvement écologiste
et féministe Chipko contre la déforestation.
A 30 ans elle crée sa fondation pour la science
et l’écologie, qui prône l’implication
des populations dans les décisions les concernant
et donnera naissance à de nombreux projets
en Inde : une université pour des modes de
vie durables, un mouvement féministe pour
la diversité biologique et culturelle, mais
aussi Navdanya, un programme pour la protection
de la biodiversité et des cultures traditionnelles
qui crée des banques de semences, forme les
paysans au bio pour les libérer du joug des
multinationales agro-chimiques, et mène des
campagnes contre le brevetage du vivant ou la privatisation
de l'eau. |
«
J’ai travaillé pendant 25 ans
à la réussite d’une entreprise
et je veux en faire quelque chose. Il n'y aurait
rien de pire,
à mon âge, que de rester là,
assise au bord d'une piscine, à ne m'inquiéter
que de mon lifting."
(Photo
©Joel Anderson)
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Anita
Roddick
À 63 ans, la fondatrice de l'enseigne cosmétique
The Body Shop, chef d’entreprise engagée,
militante et visionnaire, pense à tout
sauf à la retraite : "plus je vieillis,
plus je deviens radicale!" Tout commence
en 1976 : Anita veut gagner de l’argent
pour nourrir ses enfants et ouvre une première
boutique à Brighton en Grande-Bretagne.
En vingt ans, la marque devient l'une des plus
appréciées au monde, avec 2000 boutiques
dans 50 pays. Un succès dû à
la personnalité d’Anita Roddick qui
utilise le pouvoir de son entreprise pour faire
bouger les choses : le refus des tests sur animaux,
la protection de l'environnement, le commerce
équitable ou la dénonciation des
canons de beauté imposés par l'industrie…
Anoblie
par la Reine, Anita a quitté The Body Shop
en 2002 : elle utilise désormais sa notoriété
pour dénoncer les dérapages de la
mondialisation et a décidé de consacrer
sa fortune à la promotion des droits de
l’Homme.
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«
La générosité est un outil
de changement très important, surtout
quand il s’agit de nourriture. Donner
quelque chose sans rien demander en échange
est une façon formidable de faire découvrir
une nouvelle idée à quelqu’un.»
(Photo ©Norman
Jean Roy)
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Alice
Waters
Elue parmi les dix meilleurs chefs au monde en
1996, Alice Waters, 51 ans, veut faire en sorte
que chacun puisse manger d’une manière
qui célèbre à la fois ce
qu’il est et la terre qui le nourrit. Après
avoir étudié la culture française
à Berkeley dans les années 60, Alice
travaille dans une école alternative Montessori
à Londres et parcourt la France, où
elle y découvre, avec les films de Pagnol,
qu’un bon bistrot peut devenir le cœur
d’une communauté, un lieu où
les gens trouvent réconfort et amitié.
De retour à San Francisco, elle ouvre Chez
Panisse en 1971, avec un menu à prix unique,
composé de produits de saison achetés
à un réseau unique de producteurs
locaux.
Militante
du bio, administratrice du mouvement Slow Food
qui défend les produits de terroir contre
la mondialisation, Alice a aussi créé
une Fondation qui crée des jardins potagers
dans les écoles, pour changer la façon
dont les petits Américains se nourrissent.
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"Je
fais ceci pour tous ceux
qui sont attachés à la liberté
et à la justice, car sans ces idéaux
nous ne pourrons pas sauver la planète."
(Photo ©Ricardo
Medina)
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Wangari
Maathai
Première femme d'Afrique, et première
écologiste, à avoir reçu
le prix Nobel de la Paix en 2004, Wangari Maathai,
biologiste, a très tôt fait entendre
sa voix dans un pays où les femmes ont
rarement leur mot à dire. A 24 ans, elle
crée le Conseil National des Femmes du
Kenya et commence à sensibiliser les femmes
aux conséquences sociales et environnementales
de la déforestation : première source
d'énergie pour 90% des foyers, le bois
est en effet utile pour la nourriture, la construction,
la protection des terres contre l'érosion,…
Treize années plus tard, elle fonde le
Greenbelt Movement afin d'encourager la plantation
d'arbres par les communautés – un
projet qui a permis la plantation de plus de 20
millions d'arbres. Militante de terrain longtemps
restée dans l’opposition au régime
autoritaire en place (elle a même fait de
la prison), Wangari a été élue
au Parlement en 2002 puis nommée secrétaire
d'Etat à l'Environnement.
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Graines de Changement
: Vous agissez toutes, dans vos domaines de prédilection,
pour changer le monde… Mais êtes-vous plutôt
optimiste ou pessimiste sur le devenir de la planète
?
VS - Je suis assez pessimiste quand je regarde le monde
des institutions super-puissantes, les multinationales
ou la Banque Mondiale, mais dans l'ensemble je reste
très optimiste quand je me tourne vers les individus,
leurs initiatives et les mouvements qu'ils font naître.
Sur beaucoup de sujets, nous avons commencé à
prendre conscience que les tendances dominantes ne sont
pas les bonnes. Elles sont une voie sans issue d’un
point de vue écologique et génèrent
de graves conflits sociaux. Peu à peu, les choses
bougent grâce aux individus. A Dehli par exemple,
nous avons réussi, après 3 ou 4 ans, à
stopper la privatisation de l'eau ; et nous gagnons
aussi à chaque fois que nous attaquons une multinationale
qui veut déposer un brevet sur le vivant…
AR – Pour ce qui me concerne, je suis animée
d’un optimisme quasi-pathologique, qui doit sans
doute beaucoup à mes origines italiennes ! Et
aussi à ce que je vois autour de moi, notamment
aux initiatives innovantes qui se multiplient et au
fait que ceux qui ne pouvaient pas faire entendre leur
voix avant y parviennent désormais, grâce
aux nouvelles technologies comme Internet, ils s’organisent,
montent en puissance… Et nous comprenons mieux
qui dirige le monde, pourquoi les guerres se produisent
ou comment instaurer la paix.
AW – Ce n’est pas difficile d’être
pessimiste quand on voit les choses choquantes qui se
produisent partout dans le monde, du réchauffement
climatique aux guerres… mais je crois que je suis
aussi une optimiste née. Et nous avons quand
même quelques bonnes nouvelles : il suffit par
exemple de regarder les objectifs du Millénaire
pris par les Nations-Unies pour vaincre les problèmes
majeurs comme la pauvreté, ou le succès
du dernier rassemblement de Slow Food en Italie, où
les gens sont venus de 140 pays différents et
parvenaient à se retrouver autour d’une
même vision des priorités, tout en parlant
6 ou 7 langues différentes dans certains cas
!
WM – Moi aussi, je crois être une perpétuelle
optimiste. Et je suis encouragée dans ce sens
par ce que je vois actuellement en Afrique : d’un
côté les efforts faits par les gouvernements
pour travailler ensemble à améliorer la
gouvernance, la qualité de vie des personnes,
la protection des écosystèmes forestiers,
la participation des communautés aux décisions
qui les concernent, etc. Et de l’autre, tous ces
gens qui s’engagent concrètement, sur le
terrain ou au niveau national dans mon pays par exemple…
Graines de Changement
: Dans ce qui vous occupe aujourd’hui, quel est
le changement le plus urgent à mettre en œuvre,
selon vous ?
WM – Je vais répondre par un exemple. Les
astronautes de la dernière navette spatiale ont
raconté à leur retour qu’ils avaient
vu un épais nuage de poussière au-dessus
de l’Afrique, du fait du vent qui soulève
les terres mises à nu par la déforestation,
la dévégétalisation, etc. Pour
les mêmes raisons, nos rivières sont maintenant
brunes ou rouges parce qu’elles charrient beaucoup
de cette terre… Tout cela est lié, indirectement,
aux problèmes de malnutrition ou de famine, et
à la pauvreté en Afrique. Alors pour moi,
le changement le plus important à mettre en œuvre
serait que la prochaine fois, les astronautes ne voient
plus ce nuage de poussière au-dessus de notre
continent mais un tapis épais de végétation.
Ce qui voudrait dire que nous avons beaucoup travaillé
pour protéger le sol, éduquer les gens,
etc.
VS - Ce qui me préoccupe le plus, c'est que les
multinationales, et les autres institutions qui servent
leurs intérêts comme l'OMC ou la Banque
Mondiale, tentent de privatiser les ressources vitales
de la planète – comme la biodiversité
ou l'eau. Un autre sujet qui me tient à cœur,
évidemment, c'est que l'agriculture soit progressivement
détruite par la tendance à l'industrialisation
tous azimuts et la productivité à tout
crin… et aussi, bien sûr, par les OGM qui
ne sont qu'une façon de vendre plus de pesticides
puisque les plantes deviennent plus résistantes.
AW – C’est vrai, il est primordial de changer
la relation que nous avons avec notre nourriture, et
surtout de mieux informer chacun d’entre nous
sur les conséquences de nos choix quotidiens.
C’est à cela que je travaille en ce moment,
pour créer des programmes scolaires conçus
pour apprendre aux enfants de tous âges, autour
d’un jardin par exemple, comment se nourrir en
prenant soin de la terre et de soi – c’est
ce que j’appelle l’éco-gastronomie
!
AR – Alice a raison, l’information et l’éducation
sont essentielles, notamment sur les implications de
nos choix de consommation. Nous devons être mieux
informés sur ce qui peut faire progresser la
justice sociale, l’équité dans les
échanges commerciaux, le respect des droits de
l’Homme au travail… Et ensuite nous devons
agir, c’est pour cela que nous sommes sur cette
planète. Il nous faut faire en sorte que cet
engagement devienne plus branché et attractif
que la mode, par exemple !
Graines de Changement
: qu’il s’agisse de lutter contre la pauvreté,
pour la santé ou le commerce équitable,
beaucoup de ceux qui agissent sur le terrain sont aujourd’hui
des femmes… et les programmes qu’elles développent
sont aussi souvent destinés aux femmes. Pourquoi
cela, à votre avis ? Les femmes auraient-elles
un rôle particulier à jouer dans la construction
d’un monde meilleur ?
AW – Ah oui ! Les femmes s’occupent des
enfants et ce sont elles qui achètent de quoi
nourrir la famille. Si elles sont bien informées,
elles peuvent donc prendre les bonnes décisions
et dépenser leur argent d’une manière
qui contribue au mieux-être de la planète…
Les hommes peuvent le faire également, bien sûr,
mais pour des raisons presque biologiques, une mère
n’a pas d’autre choix que de faire attention
au monde dans lequel grandit son enfant.
AR –D’autant plus que ce sont les femmes
qui travaillent la terre, qui portent l’eau, qui
s’occupent des maisons… Elles sont davantage
connectées à la terre que les hommes.
WM – Je crois que lorsque l’environnement
naturel est dégradé, les premières
victimes sont les femmes et leurs enfants. En Afrique,
leur survie dépend souvent de la terre, de la
forêt, des rivières… Quand ces ressources
sont détruites, les hommes s’en vont chercher
du travail en ville mais les femmes et leurs enfants
restent dans les campagnes. Et puis les femmes ont été
éduquées pour penser aux autres avant
de penser à elles, et du coup elles sont souvent
les premières à réagir pour trouver
rapidement des solutions aux problèmes qui menacent
leurs enfants, leurs proches, etc.
VS – C’est vrai que les domaines les plus
sensibles aujourd'hui - l'eau, l'agriculture et la nourriture
- sont aussi ceux qui étaient traditionnellement
réservés aux femmes, sans doute parce
qu'ils sont essentiels à la vie. Du coup, les
femmes ont développé une expertise particulière
sur ces sujets et aujourd'hui, quand les multinationales
tentent de détourner à leur profit ces
domaines, les femmes sont en première ligne pour
organiser la résistance de manière créative
et efficace. C'est notre responsabilité à
toutes que de proposer une alternative au mode de pensée
dominant que nous imposent les entreprises mondialisées
: les grandes entreprises font de l'eau une commodité
alors qu’en Inde, nous la voyons comme notre mère
; elles font des graines des biens privés ou
des brevets alors que nous les voyons comme un patrimoine
commun hérité de nos ancêtres…
Graines de Changement
: Margaret Mead a dit qu’il ne fallait jamais
douter du fait qu’un petit groupe de citoyens
engagés et conscients puisse changer le monde…
A votre avis, le changement viendra-t-il plutôt
des individus ou des instances publiques ?
VS - Le changement viendra de la société
civile, des gens ordinaires qui s'organisent, et pas
des autorités… que les entreprises peuvent
contrôler ou corrompre trop facilement !
AR – C’est sûr : le changement viendra
des individus car les instances publiques sont trop
hiérarchisées, et cela les empêche
d’être créatives. De toute façon,
si vous prenez la pauvreté par exemple, personne
ne comprend mieux le problème que les pauvres
eux-mêmes, ils sont donc aussi les mieux placés
pour le résoudre, à condition qu’on
leur donne le pouvoir de le faire.J’ai assez peu
confiance dans les autorités, elles n’aident
que ceux qui ont déjà pignon sur rue,
en Angleterre en ce moment si vous défiez le
gouvernement, vous êtes vu comme un terroriste
!
AW – en fait, le changement doit probablement
venir des deux côtés. Il faut penser global
et agir local : les lois doivent changer, mais les actions
sur le terrain sont ce qui fait changer l’opinion,
et ces prises de conscience sont ce qui fait changer
les lois. Mais c’est vrai que les décideurs
politiques ne comprennent pas les problèmes,
par exemple sur la question de la nourriture, ils ne
voient pas que c’est ce que nous mangeons qui
nous rend malades, il y avait d’ailleurs un très
bon article là-dessus l’autre jour dans
le New-York Times, sur le diabète…
WM – Cette citation est très vraie. Je
crois que ce que Margaret Mead a voulu nous dire, c’est
qu’il ne faut pas forcément attendre que
tout le monde comprenne ou accepte ce que nous essayons
de faire, nous devons croire en ce que nous faisons
même si nous sommes très peu nombreux,
après tout le nombre importe moins que le message
et l’engagement de ceux qui le portent. Les gens
qui restent dans l’histoire et les mémoires,
ceux dont le message est ensuite porté par des
millions de personnes, sont ceux qui se sont battus
avec passion et ont finalement changé notre façon
de voir les choses.
Graines de Changement
: Pourtant, les individus se sentent souvent démunis
et inutiles face à l’ampleur des problèmes…
Qu’est-ce que je peux faire, à mon niveau
?
AW – Chacun, chaque jour, dépense de l’argent
pour acheter de quoi manger. En faisant faisons attention
à ce que nous achetons, nous pouvons changer
beaucoup de choses. C’est possible, il suffit
d’être vigilant…
VS- Absolument. Qui que vous soyez, où que vous
soyez, vous pouvez contribuer à changer les choses
au quotidien, en commençant par faire attention
à ce que vous mangez : achetez-vous des aliments
contenant des OGM ? Etes-vous client de McDo ou préférez-vous
des produits cultivés par des agriculteurs locaux
? Buvez-vous du Coca ou essayez-vous plutôt d'influencer
la mairie de votre ville pour faire en sorte que l'eau
potable soit la plus saine possible ? Ce sont des choix
qui concernent tout le monde, car chacun doit manger
et boire, mais ces choix sont aussi une façon
de voter pour le monde que nous voulons.
AR – Cette idée qu’une seule personne
ne peut rien faire est un mythe… qu’il ne
faut pas accepter. La plus importante chose à
faire est de s’informer, puis d’agir. Mieux
encore : plongez en vous pour trouver ce qui vous révolte,
puis concentrez-vous là-dessus, trouvez des alliés
dans ce combat, et travaillez ensemble à changer
les choses !
WM – Chaque personne compte parce que tous les
problèmes très globaux et complexes auxquels
nous faisons face peuvent être décomposés
en de plus petits problèmes qui peuvent être
traités au niveau individuel et local. Par exemple,
mon nuage de poussière au dessus de l’Afrique
est quelque chose de très global… mais
chaque Africain peut contribuer à le résoudre
en faisant deux choses : protéger chaque arbre,
même un tout petit plant, qui est encore debout,
et remplacer chaque arbre qui est coupé. Imaginez
ce que cela représenterait si chacun des 600
millions d’Africains plantait un arbre par an
! Et comme les arbres absorbent le CO2, cela aurait
aussi un impact positif sur le changement climatique
et par conséquent sur le recul de la sécheresse
en Afrique.
Graines de Changement
: Gandhi a dit que nous devons être le changement
que nous voulons voir dans le monde. Mais quel est à
votre avis le changement intérieur que nous devons
mettre en œuvre, dans nos valeurs et nos attitudes,
pour générer du changement autour de nous
?
VS - Cette phrase de Gandhi est mon credo. Cela ne sert
à rien de critiquer, il faut reconnaître
nos responsabilités et agir. Tout le système
actuel est fondé sur l'humiliation des individus.
Les entreprises vendent de la frustration et de l'infériorité
: leurs biens ne nous font pas du bien ! Il est essentiel
de redonner de la valeur à la simplicité,
et de savoir où s'arrêter : c'est ce qui
amène la satisfaction dans l'existence, par opposition
au consumérisme qui est fondé sur l'insatisfaction
perpétuelle. La simplicité est bonne pour
la planète et pour nos âmes !
WM - Je crois que Gandhi, avec cette phrase, répondait
à des gens qui lui demandaient que faire pour
changer ceci ou cela… Le message qu’il voulait
nous faire passer, c’est que nous devons arrêter
de faire porter la faute à d’autres, nous
devons commencer nous-mêmes à vivre en
respectant certaines valeurs.
AR – Le changement intérieur se produit
avec l’expérience. Les gens disent toujours
qu’on cherche le sens de la vie, mais je ne crois
pas que cela soit vrai : ce que nous cherchons, avant
tout, c’est à nous sentir en vie, à
participer pleinement à la condition humaine.
Et cela ne vient jamais quand on lit des rapports ou
des tableaux de chiffres sur un problème mais
seulement quand on agit concrètement sur le sujet,
avec d’autres…
AW – J’adore cette citation de Gandhi !
Et je crois qu’il nous faut aussi parler au plus
grand nombre de gens possible, pas juste aux convertis
: nous devons amener ces sujets dans les endroits les
plus inattendus…
Graines de Changement
: Quelle est la leçon la plus importante que
vous ayez apprise à ce jour ?
WM – J’ai appris trois choses. D’abord
que je dois être patiente parce que rien ne se
fait en une nuit. Ensuite que je dois être à
la fois très engagée et très persistante
– parfois c’est un peu décourageant
car vous travaillez dur et rien ne passe, mais il faut
s’accrocher, pour le Green Belt Movement cela
a pris 30 ans, ce n’est pas rien, c’est
la moitié de ma vie ! Et en prenant de l’âge,
aussi, j’ai aussi réalisé une chose,
c’est que notre temps est limité et qu’il
me faut donc travailler tant que je le peux encore…
VS – C’est que pour changer le système,
il faut d'abord changer soi-même – comme
dans la phrase de Gandhi. J'ai vu trop de mes collègues
s'obstiner trop longtemps à réclamer des
choses à un système oppressant, et je
crois ce n'est pas comme cela que nous changerons les
choses. Voilà ce que j’ai appris : le niveau
le plus élevé de résistance est
de créer une alternative au système en
place…
AR – A condition de savoir la communiquer ! Première
leçon : quels que soient votre engagement et
votre sincérité, si vous ne savez pas
communiquer, vous n’arriverez à rien !
Deuxième leçon : l’argent corrompt
l’esprit humain, donc si vous en gagnez, vous
devez mettre des obstacles pour éviter que cela
vous isole du reste du monde, c’est comme ça
que j’ai décidé de distribuer ma
fortune à des causes !Et aussi ceci : il faut
s’amuser ! Les femmes savent bien faire cela,
et de toute façon le nouveau millénaire
sera marqué par le rire, qui est quand même
le signe du partage et de l’amitié.
AW – Je suis d’accord sur la communication
: il faut que le message soit clair et cohérent
dans le temps. Moi j’ai parfois l’air d’un
disque rayé mais au moins tout le monde sait
pour quoi je me bats, et ils savent aussi que je ne
ferai pas de compromis, je veux que tout les enfants
puissent faire des repas bons et sains… L’autre
chose que j’ai apprise est que les messages positifs
sont les plus efficaces et convaincants – cela
ne mène pas très loin de se contenter
de dire « ne mangez pas ceci ou cela » si
vous ne proposez pas une autre expérience, plus
enthousiasmante.
Graines de Changement
: que faites-vous, personnellement, pour prendre soin
de vous et conserver intacte toute votre énergie
?
VS - C'est une bonne question…Je crois que je
ne sais pas trop prendre soin de moi, en fait, j'ai
même passé beaucoup de temps à l'hôpital
l'an dernier, car j'ai tiré sur la corde et atteint
mes limites physiques en enchaînant les voyages,
les conférences, etc. Je sais mieux comment prendre
soin de mon âme : je ne laisse pas mon égo
me diriger, je m'entraîne à travailler
dans un esprit de service, en considérant avant
tout ce que je peux apporter à une situation,
et non ce que je peux en tirer. C'est un travail spirituel
permanent. Et bien sûr je prends du temps pour
méditer un peu, me retrouver en paix avec moi-même…
Cela me permet de garder en permanence à l'esprit
ce qui est le plus important pour moi, de ne pas me
laisser distraire, dans les moments où votre
travail est ignoré tout comme dans ceux où
il est reconnu ou récompensé.
AW – De mon côté, je fais du yoga,
je m’offre un massage par semaine et je rends
souvent visite à mon accupuncteur. Mais surtout,
je cultive les relations avec ma famille de cœur,
un large groupe d’amis que je vois régulièrement
et avec qui j’échange souvent sur tous
ces sujets. Je crois que c’est important de rester
ouvert à ce que les autres font, pour voir comment
faire des choses ensemble, et aussi pour éviter
de se sentir isolé. Nous faisons partie d’un
même courant global de pensée et d’action…
WM – J’essaie de faire de l’exercice
aussi souvent que possible pour entretenir mon corps.
Mais surtout je me rends souvent dans les zones rurales
pour rester en contact avec les réalités
et les gens qui vivent près des forêts,
qui les protègent et comprennent leur importance…
Cela me donne beaucoup d’énergie et c’est
une nourriture spirituelle aussi.
AR – Moi je procède par élimination
: je ne fais ni yoga, ni méditation, mais je
ne bois pas, je ne fume pas,… Je me concentre
sur ce qui me rend heureuse : l’art, la créativité,
la poésie… et par dessus tout ma famille.
Sans oublier les tomates, qui sont le secret de mon
optimisme : je n’ai jamais rencontré d’italien
dépressif et je crois que les tomates y sont
pour beaucoup !
Graines de Changement
: Y a-t-il un message que vous voulez faire passer aux
femmes qui sont ici avec vous ?
AW – Il faut que nous trouvions de nouvelles façons
de travailler ensemble ! Je côtoie déjà
Vandana au sein du mouvement Slow Food, mais j’adorerais
trouver des projets à mener avec Anita et Wangari…
Nous tissons la même toile : à chaque fois
que l’une d’entre nous amène des
idées nouvelles, le motif devient plus clair,
et le message est d’autant mieux compris.
AR – Ce que je voudrais dire, c’est : utilisez-moi,
tenez-moi au courant de tout ce que vous faites, et
je rameuterai sur le sujet tous les médias que
je connais… Et aussi ceci : retrouvons-nous vite
pour dîner toutes ensemble !
VS – La seule chose que je voudrais vous dire
à toutes, c'est merci d'être là
et d'être qui vous êtes !
WM – Moi je voudrais dire que nous sommes comme
des sœurs, je me sens connectée à
chacune d’entre vous et je vous remercie pour
tout ce que vous faites et pour l’inspiration
que vous me donnez – parfois quand je suis découragée,
je pense à vous et je me dis « si elles
font tout cela, je dois continuer aussi »….
POUR EN SAVOIR PLUS…
Sur Vandana Shiva
www.navdanya.org
« La vie n'est pas une marchandise : la dérive
des droits de propriété intellectuelle
» (Ed. de l’Atelier)
« La guerre de l'eau : privation, pollution et
profit » (Ed. L’Aventurine)
« La biopiraterie ou le pillage de la nature et
de la connaissance » (Ed. Alias)
Sur Anita Roddick
www.anitaroddick.com
"Corps et âme"
: The Body Shop raconté par sa fondatrice, Anita
Roddick (Ed. Village Mondial, collection Graines de
Changement)
Sur Alice Waters
www.chezpanisse.com
www.edibleschoolyard.org
Sur Wangari Maathai
www.greenbeltmovement.org
www.wangarimaathai.org
Et
sur Canopée, le magazine de Nature & découvertes
© Graines de Changement,
Mars 2006 - Tous droits de reproduction et de diffusion
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